On ne fait jamais vraiment ce que l'on veut-2002

 
 
Titre original
 

On ne fait jamais vraiment ce que l'on veut

 
 
 
© Fayard

 

Titre

 

 

On ne fait jamais vraiment ce que l'on veut

 
Éditeur Fayard
Lieu d'édition Paris
Année de l'édition 2002
Année du copyright 2002 (Fayard)
Langue Français
Genre Roman

 

 

 

Présentation du livre par l'éditeur

Clara Martin est une séduisante avocate de trente-cinq ans, spécialisée dans les affaires de divorce et redoutable adversaire quand il s'agit d'attribuer la garde des enfants. Au sommet de sa carrière, elle décide de changer de vie et de se reconvertir dans le droit des affaires. Pourquoi ce brusque revirement ? Elle seule en connaît la raison. Elle met à la porte son amant – un jeune comédien – et part pour quelques jours à Vienne, où elle a encore des attaches familiales. À l'hôtel où elle descend, elle rencontre un homme, en vacances, avec son petit garçon. Ce père divorcé, quand il apprend qu'elle est avocate, lui demande son aide. Malgré toute sa résistance, elle se laisse convaincre et embarquer dans une affaire dangereuse. Dangereuse, car le passé de Clara cache un secret. Cette femme forte a-t-elle toujours exercé son métier sans avoir rien à se reprocher ? Quelles sont les limites morales d'un avocat ? Dans ce roman à haute tension, s'affrontent la plupart des pulsions humaines : la haine, la jalousie, le goût du pouvoir, mais aussi la nostalgie et l'émotion. Pourtant, l'humour n'est jamais absent et le bonheur apparaît où on ne l'attend pas…

© Fayard et Christine Arnothy

 

Extrait du livre

Chapitre 1

Elle courait dans le noir, fuyait d'une pièce à l'autre. Elle poussait des portes, se cognait à des poignées et à des murs. L'homme qui s'était introduit du côté de la terrasse la suivait pas à pas. Elle dut arriver au salon et, se heurtant à un accoudoir de fauteuil, perdit l'équilibre, bascula et resta accroupie sur le sol, près de la table basse. Dans un rayon de lumière opaque, infiltré de l'extérieur, elle put apercevoir la silhouette de celui qui la traquait. L'agresseur portait un masque et, à cet instant précis, tourna la tête vers l'endroit où Clara se cachait. La jeune femme transpirait. L'odeur de la peur mélangée à celle de la sueur allait la trahir. Elle serra les paupières, une haleine chaude et fétide l'effleura. Lorsque des mains gantées de cuir épais frôlèrent son cou, comme un ressort elle se redressa. Sa brusque volte-face surprit l'individu et permit à Clara d'apercevoir ses yeux. Elle reconnut le regard de Thierry. Elle s'entendit hurler : " Dehors ! "

Sa propre voix lui rendit conscience. Hagarde, elle constata qu'elle était seule et reconnut les lieux. Sa chambre à coucher était parfaitement en ordre. Elle s'assit dans son lit et chercha l'origine de l'odeur perçue pendant cette poursuite qui lui avait semblé si cruellement réelle. Ce n'étaient pas des fleurs. Elle avait jeté la veille quelques branches d'orchidées aux pétales mourants, cadeau d'une de ses clientes. Était-ce son parfum dont elle avait renversé le flacon sur la moquette ? À côté du lit, sur une pile de livres, était posée la pendule miniature. " Ce sera parfait pour le voyage, madame ", lui avait dit un jour un vendeur. Il était à peine 7 heures du matin. Elle saisit la bouteille d'eau minérale qu'elle gardait à portée de main et but au goulot. L'eau coula sur son menton et sa poitrine. Elle hocha la tête. Son subconscient qui avait animé son sommeil avait donc prêté une telle force à Thierry ? Lui, un agresseur ? À la lumière du jour, l'hypothèse semblait ridicule. Il n'était ni diabolique ni vicieusement intelligent. Il n'était qu'un jeune homme très beau. Nu ou en smoking, son corps était parfait. Mannequin chez un couturier italien, il présentait aussi bien des vêtements du soir que des slips de bain. Comédien débutant aussi - débutant depuis six ans -, il était parti la veille pour un casting à Montpellier. C'est ce qu'il avait dit… C'était peut-être même vrai.

Clara quitta son lit, enfila un survêtement blanc et se dirigea vers la cuisine. La machine à expressos était branchée jour et nuit. Elle fit couler un café bien fort, le savoura par petites gorgées, puis, impatiente, posa la tasse et répéta : " Je le fous dehors. " Il fallait agir à l'instant, retrouver le numéro de téléphone du serrurier, rendre les clefs de Thierry inutilisables. En passant elle aperçut dans l'évier une soucoupe. Un mégot écrasé y trempait dans une eau brunâtre. Elle la rinça d'un geste rageur.

Comment avait-elle pu commettre la bêtise d'installer chez elle ce type séduisant mais paresseux et velléitaire ? Sa nonchalance et son désordre l'avaient agacée dès leur première semaine de vie commune. Il fallait non seulement l'entretenir, mais aussi le réconforter après chaque échec professionnel. De plus, il était trop curieux, toujours à l'affût de renseignements : " Selon les potins qui courent, tu serais l'avocate d'un tel ou d'un tel ? On dit que tu gagnes un fric fou… " Elle le rabrouait sèchement. Lorsqu'elle l'avait surpris quelques jours plus tôt près de son bureau, elle avait sursauté : il feuilletait le carnet d'adresses de Clara. C'était d'ailleurs plus qu'un carnet : un ancien agenda épais comme un livre, plein de numéros inscrits dans tous les sens, de petites étiquettes collées, de photos glissées entre deux pages grises d'usure. Une grosse masse utilitaire contenant tous les éléments de sa vie quotidienne. Par ailleurs, elle transportait dans son sac à main un agenda électronique codé. " Je t'ai interdit de toucher à quoi que ce soit sur ma table de travail ! - Ne me traite pas comme si j'étais un gosse, avait-il répondu. - Tu n'es qu'un adolescent attardé ! " Si Thierry avait eu ne fût-ce qu'une ombre d'amour-propre, il l'aurait quittée sur-le- champ. Mais il avait esquivé la colère de Clara. " Ne t'emballe pas, pas la peine de faire une crise pour ça. Je me fiche de tes clients pourris d'argent. Au fait, c'est vrai que le type qui t'a virée en Argentine avait deux Ferrari ? Une jaune pour les jours de pluie et une rouge pour la nuit ? - Qui t'a raconté ce ramassis de bêtises ? - J'ai mes sources, avait-il jeté avec impertinence. Le monde est petit et certaines publications sont bien renseignées. "

Elle aurait dû le virer de l'appartement instantanément. Elle ne l'avait pas fait. L'allusion à l'Argentin l'avait surprise. La gorge serrée, dissimulant sa panique, elle s'était obligée à répondre, impassible : " Ce que tu dis est faux. N'essaie jamais d'établir une relation entre ce que je suis vraiment et ce que tu peux lire. " Il aurait aimé répliquer, juste pour son plaisir personnel, qu'elle était sans doute célèbre, mais seule aussi. Il savait qu'elle n'aimait pas trouver, lorsqu'elle rentrait, l'appartement vide. Il avait gardé le silence, se promettant de surveiller son vocabulaire. L'élégante avocate détestait les grossièretés. Elle lui avait dit un jour : " Si tu crois parler jeune, tu te trompes, tu parles caniveau. " Il prenait des précautions.

Elle termina son café, posa la tasse sur la table de la cuisine et répéta encore une fois : " Ce mec, c'est fini. " Elle avait cherché auprès de lui le plaisir qu'elle n'avait pas connu à vingt ans. Entendre, en arrivant sur le palier, la musique qui répandait des décibels dignes d'une boîte de nuit, l'emplissait d'une étonnante tendresse pour Thierry. Elle aimait le trouver là. Il l'accueillait, joyeux : " Maître, tu vas avoir une de ces salades ! " Puis il la serrait contre lui, tandis qu'elle avait encore à la main son lourd attaché-case qui lui cassait le bras. Elle aimait cet accueil, même factice. Je suis bien avec ce type en trompe-l'œil, s'avouait-elle. Jusqu'à ce matin. Car ce matin, c'en était fini avec ce remake d'un film sentimental, genre comédie américaine : un bon gars, dans une belle cuisine, qui savait piocher dans la collection des "classiques" de Clara et la recevoir avec un tonitruant "YMCA", des Village People.

Première étape : changer la serrure. " Il n'entrera plus ici ", se promit Clara. Elle fit un rapide calcul : la nouvelle serrure - le prix de son indépendance regagnée - était de 3 800 francs - 579,31 euros, selon la conversion opérée sur sa calculette. Peu importait la somme, elle devait se protéger. N'avait-elle pas surpris Thierry à la porte de la pièce étroite, contiguë à son bureau, où elle gardait ses archives personnelles ? " Plus tu verrouilles les pièces, plus je suis curieux ", lui avait dit le jeune homme d'un ton léger, en s'empressant d'ajouter : " Je plaisante. "

" Quelle bêtise ! s'exclama Clara tout haut. Quelle bêtise ! " Après avoir obtenu quelques retentissants succès dans des affaires de divorce, elle en était devenue la spécialiste. Que de couples riches réclamaient ses services ! Que de femmes espéraient qu'elle saurait les comprendre mieux, étant elle-même une femme ! Que d'hommes la souhaitaient comme alliée, elle si efficace pour obtenir la garde des enfants !

Ce matin-là, tout en s'injuriant, elle se dirigea vers le dressing-room, ramassa quelques vêtements de Thierry jetés en vrac sur le sol, prit l'une de ses valises, la plus vieille, et commença à y entasser pêle-mêle les affaires du jeune homme : il y avait des caleçons fleuris, des chaussettes dépareillées, des chemises de soie ras du cou. Intérieurement, elle tenta de se justifier. Il avait une belle gueule, Thierry, une masse de cheveux châtains faite pour que les femmes y égarent leurs mains ; il avait de belles dents, Thierry, des lèvres sensuelles, gonflées sans silicone, et un regard qui semblait intelligent. Lorsqu'ils arrivaient ensemble à une réception, les invités les examinaient avec une certaine jalousie. L'avocate célèbre de trente-cinq ans avait une liaison avec un play-boy qui en avait neuf de moins et qui était "économiquement faible… "

Clara glissa une paire de chaussures dans un sac en plastique ; elle réfléchit. Est-ce que son cauchemar avait été déclenché par la scène de la veille ? Thierry lui avait montré un brouillon de texte : " Tu crois que c'est bien rédigé ? Je veux quitter ma chambre sans avoir besoin de chercher un locataire pour me remplacer, ni payer de dédit. Qu'est-ce que je peux raconter ? Une mère malade ? Un long déplacement à l'étranger ? Qu'en penses-tu ? " Clara avait répondu que les agences immobilières se moquaient des causes de départs impromptus. Thierry serait obligé de trouver un successeur ou de payer son dû selon les termes du bail."

Payer avec quoi ? Je leur dois déjà deux mois. - Il était entendu que tu gardais ta location. Ne compte pas sur moi pour t'assurer un toit. Quant à moi, je ne suis même pas sûre de rester dans cet appartement. " Il avait fait une petite grimace pour l'attendrir. " Tu es dure avec moi. Je croyais que tu m'aimais. - Toi et moi, ce n'est qu'un épisode, un essai. " Elle espérait un signe de révolte. Hélas, il n'avait aucune fierté. Elle avait ajouté : " Si tu as un rôle dans la saga provinciale, tu seras obligé de te rendre sur place et d'y rester pendant le tournage. En tout cas, garde ton studio. "

Clara trouvait des affaires de Thierry dans tous les coins. Elle avait ramassé encore une paire de baskets et un caleçon décoré de têtes de tigre. Tout s'entassait dans la valise, y compris la brosse à dents et une pâte dentifrice au goût ignoble qu'elle avait voulu jeter dès le premier jour, mais Thierry y tenait : " Ça assure une haleine parfaite.

"Elle referma la valise, la traîna dans l'entrée. Elle était lâche, sans doute, mais elle préférait éviter la scène de rupture. De retour à son bureau, elle chercha le numéro de Caron, le serrurier, et lui laissa un message sur le répondeur : " Je vous appelle pour le changement de ma serrure de sécurité. Urgent. Confirmez-moi votre passage, si possible avant 9 heures. Merci. Clara Martin. " Elle ajouta : " Je compte sur vous. "

Ce même serrurier lui avait proposé, lors de son aménagement, de blinder la porte d'entrée. " On verra, avait- elle répondu. Personne ne me remboursera les frais et, ici, il n'y a pas grand-chose à voler. Je n'ai jamais d'argent en espèces et je ne possède que quelques bijoux, la plupart à peu près sans valeur. - Et les vandales ? avait répondu le serrurier Caron. Vous ne pensez pas aux vandales ? " Elle avait haussé les épaules.

Elle appela, dès 8 h 30, le service de réservation d'un hôtel de luxe à Vienne. Le numéro de sa carte de crédit enregistré, une chambre lui fut réservée. Depuis quelques semaines déjà, elle se promettait de retourner dans sa ville natale. Une rupture lui était nécessaire avant d'annoncer à ses collaborateurs qu'elle comptait changer de secteur. Elle ne voulait plus accepter d'affaires de divorce. Elle ne supportait plus la confrontation avec des couples s'accusant de tous les maux. Ce qu'elle haïssait avant tout, c'était l'affrontement pour la garde de l'enfant ou des enfants.

" Je veux voir des écrans, des codes, des bilans. Devenir avocate d'affaires pour des sociétés. Je ne veux plus essuyer des larmes de crocodile.

"Pour son cabinet, ce changement apparaîtrait comme une source d'argent supplémentaire. Il ne fallait pas affoler son "bras droit", Henri, un allié sûr. Il hériterait, lui, des couples qui s'entre-déchiraient. Il était célibataire et, vraisemblablement, à la suite de ses expériences au cabinet, il le resterait.

© Christine Arnothy